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Quelle place pour les récits dans la transition écologique ?

Depuis plusieurs années déjà, la nécessité de formuler de « nouveaux récits » est soulignée par de nombreux acteurs de la transition écologique et non des moindres. L’idée étant de proposer des alternatives socio-économiques, en principe à la fois réalistes, durables et désirables, à l’impasse consumériste actuelle. Si leur intérêt est évident dans certaines démarches, il est possible que leur rôle soit quelque peu surévalué… Sophie Dubuisson-Quellier (Directrice de recherche en sociologie au CNRS) a fortement relativisé la portée de ces récits d’un colloque de l’Académie des sciences à l’Institut de France les 8 et 9 mars 2024.

 

Des récits à l’appui de la prospective

Ainsi l’exercice de prospective « Transitions 2050 » de l’ADEME présente-t-il de cette façon « quatre chemins types, cohérents et contrastés, pour conduire la France vers la neutralité carbone ». Un travail ambitieux qui s’est appuyé sur des moyens conséquents.

Mais on ne le répétera jamais assez, prospective n’est pas prédiction, surtout dans ce domaine : pas (ou peu) de garantie que l’un de ces quatre scénarios advienne si des choix étaient faits en ce sens. L’ADEME prévient : « Toutes [ces quatre voies] sont difficiles et nécessitent une planification orchestrée […]. Atteindre la neutralité repose sur des paris forts […]. »

 

Des récits au service de projets de territoires

Dans un registre un peu différent, le Centre Ressource du Développement Durable (Cerdd) des Hauts-de-France propose des éléments de méthode parmi les plus aboutis pour mettre en récits les projets de transition (plutôt de territoires mais potentiellement de toute organisation), notamment un « kit d’animation » et un guide « repères » très complet, nourri de l’expérience de collectivités pilotes (Loos-en-Gohelle, Grand Douaisis, Gironde).

Les productions du Cerdd montrent que dans ce cas, la mise en récit va bien au-delà du simple fait de raconter des histoires (« storytelling »). On y parle de management, gestion de projet et même d’évaluation (angle mort de nombre de politiques publiques…) ! Avec des pièges à éviter, notamment « l’écueil de la propagande » et surtout « le glissement vers le superflu ».

En lien avec ces pièges, on pourrait ajouter deux autres risques :

  • voir le récit comme « la » principale clé pour faire vraiment bouger les choses
  • embellir artificiellement l’histoire à trop vouloir rendre le futur « désirable ».

 

Un rôle suréavalué ?

Sur le premier point, Sophie Dubuisson-Quellier (Directrice de recherche en sociologie au CNRS) relativise fortement la portée des récits d’un colloque de l’Académie des sciences à l’Institut de France les 8 et 9 mars 2024. Quelques extraits sur les changements de comportements et les récits, d’après « ce que disent les sciences sociales » :

« Les modes de vie sont des pratiques sociales encastrées dans des organisations sociales, techniques et économiques, qui se sont forgées sur des trajectoires longues […] et sont ultra-dépendants de ces organisations collectives. »

« Le consumérisme n’est pas un récit, il est institutionnalisé et repose sur des rapports de pouvoir. Il résulte d’un processus de long terme, fondé sur des politiques publiques, des instruments économiques et des institutions. […] il fonde un contrat social […] et produit des bénéfices et des coûts qui sont inégalement partagés ».

La sociologue illustre son propos notamment avec la modernisation agricole de l’après guerre qui « ne s’est pas faite avec des imaginaires, mais avec des choix politiques, industriels, etc. ».

Un point de vue peut-être un peu tranché ? Sa réponse à une question sur le rôle des influenceurs n’en est pas moins savoureuse.

 

Un levier nécessaire mais évidemment pas (du tout) suffisant

Dans l’événement Anthropocène (Le Seuil, 2013), Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz me semblent plus nuancés, en soulignant à la fois :

  • « l’importance des dispositifs matériels et institutionnels qui ont forgé, notamment aux Etats-Unis, au tournant des XIXe et XXe siècles, une première société de consommation de masse » ;
  • le rôle de la publicité qui « devient un moteur essentiel de la société de consommation »

 

Nous serions donc face à une intrication de facteurs politiques, techniques, économiques et symboliques, d’importance variable selon les domaines. Les deux historiens rappellent ainsi « l’importance du politique dans la définition des modes de transport », parfois allié objectif d’intérêts privés comme dans le cas du « Grand scandale des tramways américains ».

Pour « penser le changement social », Sophie Dubuisson-Quellier propose les pistes suivantes :

  • partir des causes plutôt que des conséquences : identifier les verrous de la société du carbone (interdépendances, modèles d’affaire…) ;
  • expérimenter plutôt qu’implémenter des solutions
  • construire un chemin : institutionnaliser (redéfinir ce qui compte)

 

Propositions qui me semblent proches de celles de Bonneuil et Fressoz en conclusion de leur ouvrage : « reprendre politiquement la main sur des institutions, des oligarchies, des systèmes symboliques et matériels puissants qui nous ont fait basculer dans l’Anthropocène ».

Un travail de longue haleine face à une urgence de plus en plus pressante…

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