La « courbe du deuil » est souvent utilisée pour illustrer les étapes que chacun est susceptible de traverser dans un monde où nous sommes et serons de plus en plus confrontés à des pertes de repères liées à l’évolution du climat, à des événements extrêmes d’ampleur inédite et amenés à transformer nos organisations. Elle est cependant à utiliser avec prudence, car en matière de conduite du changement, le sur-mesure devrait être la règle…
« Le modèle de Kübler-Ross, ou les cinq étapes du deuil, postule une série d’émotions ressenties par des malades en phase terminale avant leur mort. Ces cinq étapes sont le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. » (Wikipedia)
Proposé pour la première fois par la psychiatre suisse Élisabeth Kübler-Ross dans son livre de 1969 Les derniers instants de la vie, ce modèle est fréquemment utilisé dans la conduite du changement au sein des organisations.
S’agissant de problèmes environnementaux, en particulier du changement climatique, il circule assez fréquemment sous la forme suivante :
Ce modèle apporte un éclairage utile sur les étapes que chacun est susceptible de traverser dans un monde où nous sommes et serons de plus en plus confrontés à des pertes de repères liées à l’évolution du climat, à des événements extrêmes d’ampleur inédite et amenés à transformer profondément nos organisations.
Il est cependant à manipuler avec prudence, ayant fait l’objet de critiques de différents experts selon lesquels :
- « L’existence de ces étapes n’a pas été démontrée de manière empirique ;
- Aucune preuve n’existe que les gens passent effectivement du stade 1 au stade 5 ;
- Les ressources, les contraintes et les caractéristiques de l’environnement immédiat font une énorme différence et ne sont pas prises en compte ;
- […] la résilience psychologique naturelle est la composante principale du deuil et […] il n’y a pas d’étapes à passer. »
- Voir aussi : « Les 5 étapes du deuil, un modèle valide? Faux »
Comme d’autres outils appliqués au management, la courbe du deuil a d’ailleurs fait l’objet de dérives comme lors de l’affaire France Telecom.
Dans son livre, Kübler-Ross a elle-même nuancé son approche et a « averti à plusieurs reprises que ces « stades » peuvent se chevaucher, se produire simultanément ou être complètement ignorés, et placé le terme « stades » entre guillemets ».
Des remises en question plus ou moins fortes existent aussi à propos du modèle transthéorique du changement, « modèle d’approche comportementale introduit par les psychologues James O. Prochaska et Carlo C. Di Clemente à la fin des années 1983 ».
Ainsi, au-delà des tentatives de modélisation, il y aurait autant de manières de traverser un deuil ou un changement – quelle que soit sa nature – que d’individus et de collectifs, et donc autant de manières de les accompagner.
Ce billet n’est pas une critique implicite de l’ensemble des méthodes de conduite du changement ayant recours à ces modèles, à des degrés divers. Il vise simplement à souligner la prudence vis-à-vis d’approches qui tendraient à uniformiser les démarches, banaliser ou minimiser les risques ou les difficultés (puisque la félicité est au bout du chemin, hâtons-nous !).
Sans entrer dans les détails pour cette fois, la qualité d’un processus de transformation sera plutôt liée au respect de quelques fondamentaux :
- une approche évidemment sur mesure et collective autant que possible, dès la définition des objectifs puis dans l’élaboration de la méthode ;
- clarté des objectifs, des bénéfices attendus, risques potentiels, efforts requis ;
- pertinence des moyens mis en œuvre, qu’ils soient financiers, matériels ou humains notamment en termes de formation ;
- un accompagnement qui :
- soigne la relation (écoute active, disponibilité, attention)
- favorise (de façon cadrée) l’expression des émotions (via des outils tels que le photolangage, la « roue des émotions »…)
- tient compte de la diversité des représentations et des situations face au changement
- suscite les échanges, via des rencontres de type « groupes de pairs » ou « co-développement ».
Comme évoqué dans de précédents billets, appréhender pleinement les enjeux écologiques nécessite à la fois d’identifier des perspectives positives et d’anticiper et de se préparer à des difficultés potentiellement (pas toujours, mais souvent) importantes.
A bien des égards, ces enjeux sollicitent nos capacités de discernement :
- comment réduire mes impacts tout en préservant la viabilité de mon organisation ?
- jusqu’à quel point est-il pertinent de renforcer ma résilience, par rapport à mes vulnérabilités et risques / impacts anticipés ?
Une chose est sûre : si chaque défi est porteur d’opportunités, il devrait être en général plus facile de trouver du positif dans un monde globalement réchauffé à +1,n°C qu’au delà !